le 9 février 1977

Bien installée dans mon hamac, à l'ombre d'un jacarandá, je griffe ces quelques mots. La position n'est pas très confortable pour écrire, mais si confortable pour fainéanter !

Etes-vous remis de cette grande première : liaison Guaíba - Plougastel. A notre connaissance, il n'y a jamais eu de précédent ! Dommage qu'il y ait eu de la friture, mais nous avons tout de même eu du temps pour discuter. La coupure a été brutale, comme toujours. J'ai essayé de vous raconter un peu notre vie, comme si vous y étiez. J'ai écrit une lettre à la cousine pour la remercier.

Lundi, nous avons rencontré PR. et A., et nous avons un peu mis les choses au clair. Nous leur avons dit que nous cherchions une maison le plus près possible de la culture. Ils ont trouvé cela très bien. Ils nous ont dit qu'ils nous aideraient à chercher. Mais ils n'ont pas pipé mot sur les anciennes promesses. Bof ! Il faut faire avec.

Ce soir, nous sommes invités chez l'attaché culturel français, les CH. Ils sont mondains, un peu prétentieux et snobs ! Mais il parait que leur couscous est bon ! Heureusement, les A. : JJ. et Merce seront avec nous pour décontracter l’athmosphère. Ce sera plus sympathique. Vendredi, nous irons c’est chez eux manger une paëlla.

 

Le 10 février 1977

D. et la pluie m'avaient interrompue hier. Nous avons eu un orage terrible. Sur la route pour aller à Porto Alegre, ça tonnait de tous les côtés. Subitement, une grosse boule de feu tout près de nous, des éclatements de tous côtés. La foudre est tombée à 5 mètres de nous. Quelle trouille ! Je n'avais jamais vu cela. Naturellement le courant a été coupé et D. a dû repasser à la culture à une heure du matin. Tous les plombs avaient sauté.

La soirée d'hier s'est bien passée malgré mon appréhension. Le couscous était très bon, mais moi, j'étais un peu tendue, avec en face Madame Truc Chouette et à côté Monsieur De Bidule. J'ai de l'aérophagie aujourd'hui et je n'ai réussi à avaler que deux pommes et une salade depuis ce matin, et en prime du normogastryl !... Dire que demain nous recommençons, mais ce sera plus décontracté !

On allait chez les CH surtout parce qu’ils m’avaient promis un vélo pour les enfants, mais ils avaient oublié de le préparer. Encore des promesses ! Surtout que le vélo, ce ne sera pas un cadeau, ils vont me le vendre ! Je ne referai pas un deuxième repas mondain pour cela !

Aujourd'hui, il pleut une fois de plus. La température s’est rafraîchie, mais malgré cela la moiteur est encore là. On se croirait à Macondo dans 100 ans de solitude ! C'est pourtant la première fois, depuis longtemps, que je supporte un jean et un tee-shirt.

Les lapins vont bien. On en a racheté deux, un mâle tout blanc et un autre mâle, noir et blanc. Ils se sont bien habitués, à la femelle et à nous ! Ils viennent à la maison pour réclamer à manger. En réaction, la chatte ne vit plus que dehors et essaie de jouer avec eux. Mais eux ne l’apprécient pas de trop !

 

Le 16 février 1977

Nous allons bien, la vie continue et chaque jour nous nous adaptons un peu plus. Même E. qui semble presque se résigner.

Nous avons enfin trouvé une maison tout près de la champignonnière et nous allons déménager à la fin du mois. Nous sommes très contents parce que c'est une ferme de 3 hectares, en pleine campagne, au milieu de la pampa, pas de voisins à moins de 2 kilomètres. Un chemin de terre rouge y mène à partir de Guaíba, il faut faire 15 kilomètres. Le « Sítio » s'appelle " Sanga Escura ". Sanga est le nom de la petite rivière qui traverse la propriété dans un petit bois de bambou. L'eau a des reflets de rubis. La maison n'a pas été habitée depuis longtemps et elle n'est pas en très bon état, mais nous allons pouvoir l'arranger. Je ne m'ennuierai pas avec tout le travail que cela va représenter. Il y a un grand hangar « o galpão », où je vais pouvoir organiser mon élevage de lapins. Nous avons aussi l’intention d’acquérir un cheval, c'est ici d’un prix abordable.

Avec tout cela, les enfants n'iront pas à l'école de Porto Alegre qui est bien trop loin. On essaye de les inscrire dans un collège de religieuses franciscaines à Barra do Ribeiro. C'est à peu près à 11 km de la maison de l'autre côté par rapport à Guaíba.

Il fait une chaleur torride en ce moment : 43 degrés à Porto Alegre ce midi. Nous y sommes allés aujourd’hui pour les démarches administratives au consulat français. Nous avons fait les papiers pour pouvoir voter et papa, tu recevras bientôt les procurations !

La chaleur cause beaucoup de problèmes à D et il se fait beaucoup de cheveux blancs., l'air conditionné ne fonctionne pas bien. Chaque fois qu'il y a un orage, les moteurs brûlent et en ce moment cela arrive presque toutes les nuits. Hier soir, la foudre est tombée sur la culture et quand D. est rentré dans une salle, il n'y avait plus de toit, tout avait brûlé. Un chance que la culture entière n'y soit pas passée. Alors D. a passé là-bas une partie de la nuit, attendant l'électricien. Ils ont fait les réparations de nuit et je crois bien que cet après-midi quelque chose a encore sauté. La production de champignons n'est pas aussi bonne qu'au début, à cause de la chaleur, mais atteint quand même 250 kilos par semaine.

Depuis quelques semaines, chaque soir, on entendait derrière la maison les sons des percussions et les airs de samba. Le carnaval était en préparation à Guaíba !

Enfin, le grand soir est arrivé ! G. et T. ont disparu dès qu'elles ont entendu les premiers rythmes. C'était leur première escapade ! ...Nous deux, avec E., avons hésité un moment : la peur de la foule, de l'inconnu ? Mais les appels ont été trop forts et nous sommes finalement partis aussi sur la place nous joindre à la population. Quelle ambiance ! On se serait cru au carnaval de Rio, tel qu'on en parle de loin. Mais c'était sans doute encore mieux, car à notre dimension et nous avons eu le sentiment de ne pas être étrangers. Rien de mieux que le carnaval pour sentir que l'on fait partie de Guaíba, du Brésil ! Nous avons suivi le cortège en faisant comme eux tous, c'est-à-dire en nous trémoussant au rythme des percussions. Nous n'étions pas déguisés, mais qu'importe. E. a retrouvé ses sœurs et tous les trois ont disparu dans la fête. Nous, nous avons abandonné avant eux et sommes rentrés nous coucher. Les enfants ont eu le droit à leur première nuit blanche !

Le lendemain nous sommes allés voir le défilé à Porto Alegre, mais il n'y avait rien de cette ambiance. C'était plus conventionnel, les gens se tenaient sur le bord du trottoir regardant les chars passer et les participants danser. Il y avait de nombreux indiens, tout emplumés qui défilaient, mais c'était des faux !... Nous sommes ensuite allés dans un club privé, invités par nos amis américains. En ville, contrairement à Guaíba, à part le défilé officiel, le carnaval se fête en privé, et je n'en ai pas retenu grand-chose d’exotique !

des photos (le carnaval)

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